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Le Pape Alexandre VI par J. CHANTREL

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 Le Pape Alexandre VI par J.  CHANTREL - Page 3 Empty Re: Le Pape Alexandre VI par J. CHANTREL

Message  Diane Mar 28 Déc 2010 - 17:14

Le 8 juin, dit-il, le cardinal de Valence (César) et le duc de Gandie soupaient avec plusieurs autres personnes chez leur mère 1. Comme il se faisait tard, le cardinal avertit son frère qu'il était temps de partir, et ils se retirèrent. Lorsqu'ils furent arrivés en face du palais du cardinal Ascagne Sforce, le duc dit à son frère qu'avant de rentrer il avait à faire une visite. Ayant renvoyé tous ses gens à l'exception d'un seul, il prit en croupe une personne masquée, qui était venue le trouver au sortir du souper, et qui depuis un mois le visitait assidûment. Parvenu à la rue des Juifs, le duc quitta son domestique, et lui dit de l'attendre en cet endroit jusqu'à une heure qu'il lui détermina. Il continua de marcher, et s'arrêta on ne sait où ; mais dans la nuit il fut assassiné, puis jeté dans la rivière. Le valet avait été lui-même attaqué et blessé mortellement.

Le lendemain, on vint annoncer au Pape que le duc n'avait pas reparu. La journée se passa. Sur le soir, comme il ne revenait pas, le Pape commença à concevoir les plus vives inquiétudes ; il fit venir plusieurs personnes, qu'il interrogea. Dans le nombre se trouvait un homme appelé Georges Schiavoni, qui déclara qu'étant la nuit précédente dans une barque, dont il venait de décharger du bois et qu'il gardait, il avait aperçu deux hommes à pied descendant la rue avec précaution, et regardant de tous côtés si personne ne venait ; que n'ayant rien vu, ils étaient retournés sur leurs pas, et que quelques instants après il en était venu deux autres qui avaient jeté également leurs regards de tous côtés.

Personne ne se montrant encore, ils avaient fait un signe, et bientôt avait paru un homme monté sur un cheval blanc, qui tenait un cadavre dont la tête et les bras pendaient d'un côté, et les pieds de l'autre. Deux hommes à pied soutenaient le corps pour l'empêcher de tomber. Ils s'étaient avancés ainsi jusqu'à l'endroit où l'eau des rues entre dans le fleuve. Ayant fait placer le cheval d'une manière convenable à l'exécution de leur dessein, les deux hommes avaient pris le cadavre par la tête et les pieds et l'avaient jeté dans le Tibre. Avant de se retirer, le cavalier s'était retourné, et, voyant quelque chose nager sur les flots, il avait demandé ce que c'était. Les deux hommes lui avaient dit que c'était un manteau ; prenant alors de grosses pierres, ils l'avaient fait aller au fond. Telle fut la déclaration de Georges Schiavoni.

Aussitôt on rassembla les pêcheurs, et on leur ordonna de chercher partout dans la rivière. Ils la parcoururent vainement pendant tout le jour. Mais sur le soir ils trouvèrent un cadavre horriblement mutilé. C'était celui du duc. On lui avait porté neuf coups à la tête, à la gorge, à la poitrine, et dans tout le reste du corps. Alexandre VI, en apprenant que son fils n'était plus, et que, comme le plus vil animal, il avait été jeté dans la rivière, se renferma seul et fondit en larmes. Ses officiers et le cardinal de Ségovie frappèrent inutilement à sa porte ; ce ne fut qu'à force d'instances et de prières qu'ils parvinrent à la lui faire ouvrir. Depuis le mercredi soir jusqu'au samedi, à pareille heure, le Pape ne voulut prendre aucune nourriture, et il passa dans une cruelle insomnie toute la nuit du jeudi au vendredi. A la fin, cédant aux supplications, il commença à modérer sa douleur, et à comprendre qu'à force de s'y livrer il nuirait à sa santé et manquerait à ses devoirs.

Le récit de Burchard met le Pape complètement hors de cause; il n'accuse pas davantage César Borgia, sur qui Tomasi et Guichardin font peser les plus horribles soupçons. Le duc de Gandie a pu succomber sous les coups d'un mari outragé; il a pu être victime d'une vengeance politique; il y a des historiens qui nomment les Orsini et même le cardinal Ascagne Sforza. Quels eussent été les motifs de César Borgia? On dit qu'il était jaloux de son frère, comme si le cardinalat ne valait pas les dignités dont le duc de Gandie était revêtu ; on a été plus loin, et l'on a parlé d'une hideuse rivalité entre les deux frères à l'occasion de Lucrèce Borgia. De telles accusations se détruisent par leur invraisemblance; on sait maintenant quelle était la vertu de Lucrèce; Alexandre VI, qui aimait beaucoup François Borgia, n'en continua pas moins d'aimer César, qu'il revêtit des plus hautes dignités; toutes ces circonstances, le silence de Burchard, les formes dubitatives de Guichardin, prouvent l'innocence de César Borgia.

1 On a vu plus haut que, très-probablement, la Vaunozza, ou Julie Farnèse, n'existait plus à cette époque; tout en donnant le récit de Burchard, nous devons dire que l'authenticité des détails est loin d'être démontrée.





À suivre.......

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Message  Diane Mer 29 Déc 2010 - 17:59

Vers le même temps, les affaires politiques prirent une autre face, par suite de l'avènement de Louis XII au trône de France. Louis XII commença par répudier Jeanne de France, son épouse, dont il n'espérait plus d'enfants, pour s'unir a Anne de Bretagne, veuve de son prédécesseur; le Pape, après avoir entendu la cause, autorisa la sépara tion1. Le nord de l'Italie se montrait favorable au nouveau roi, qui ajoutait aux prétentions de son prédécesseur de nouvelles prétentions sur le duché de Milan, du chef de Valentine Visconti, sa grand'mère, dont la famille avait été supplantée par les Sforza. Louis XII ne s'occupa d'abord que de Milan ; Alexandre VI, qui avait à se plaindre des Sforza, entra volontiers dans la ligue des Italiens du nord contre Milan. César Borgia, qui n'avait jamais eu de goût pour l'état ecclésiastique, et qui n'était que diacre, obtint du consentement du Sacré-Collège une dispense qui lui permit de rentrer dans l'état séculier ; le Pape lui confia le commandement des troupes pontificales, et Louis XII le créa duc du Valentinois, dont la capitale était Valence, en France, promettant, en outre, de le seconder efficacement dans la campagne qu'il méditait pour ramener sous l'obéissance du Saint-Siège les villes de la Romagne, possédées par les vicaires infidèles de l'Église.

César Borgia accompagna Louis XII à la conquête du Milanais; en octobre 1499, aidé d'un corps de troupes françaises, il se vit en état d'agir. Alexandre VI et le capitaine de ses armées, César Borgia, étaient-ils dans leur droit? La réponse ne saurait être douteuse, s'il n'est pas douteux que le suzerain peut contraindre ses feudataires à l'acquittement des clauses et charges moyennant lesquelles des terres leur ont été concédées, et que, sur leur refus, il peut les confisquer, aussi bien que lorsque leurs personnes se rendent coupables de félonie ou de rébellion .1 Or, voici ce que dit Guichardin : « Les villes de la Romagne et autres places qui relevaient de l'Église, n'en reconnaissaient déjà presque plus la suzeraineté depuis longtemps. Plusieurs vicaires ne payaient point le cens qu'ils devaient en signe de leur dépendance ; d'autres ne le payaient qu'avec peine, et tous, sans distinction, se mettaient, sans la permission du Pape, à la solde des autres princes, non-seulement sans stipuler dans leurs engagements de n'être point tenus de servir contre l'Église, mais même souvent avec l'obligation formelle du contraire. Cette conduite les faisait fort rechercher, parce qu'on retirait un grand avantage de leurs forces et de la commodité de leurs États, et que, par ce moyen, on affaiblissait toujours la puissance du Pape 2 »

Après ces réflexions de Guichardin, il demeure certain que le Pape eût prévariqué, s'il eût souffert la continuation d'un tel état de choses, alors qu'il pouvait le détruire. L'impuissance seule pouvait l'excuser; il devait à l'autorité du Saint-Siège et à la prospérité de ses sujets d'amener la fin de tant de rébellions et d'une telle tyrannie. Mais, justes en elles-mêmes, les entreprises d'Alexandre VI contre les vassaux coupables ont-elles été irréprochables dans la manière dont elles ont été conduites? Nous croyons qu'il y a ici deux parts à faire, celle du Pape et celle de César Borgia. Il est impossible de mettre à la charge du Pape aucun fait prouvé de perfidie, aucun crime ; tout ce qu'a fait César Borgia n'est sans doute pas conforme aux principes les plus stricts de la morale, ni à la manière dont les choses se passeraient aujourd'hui; mais, pour être équitable, il faut se placer au point de vue du siècle dans lequel César agissait, et souvent il faut rabattre beaucoup des accusations qu'on ne lui a pas plus épargnées qu'à Alexandre VI.

1 Jeanne de France était la fille de Louis XI ; elle était infirme et contrefaite, mais la beauté de son âme égalait la difformité de son corps. Louis XII, n'étant alors que duc d'Orléans, l'avait épousée contre son gré et en protestant; les sublimes vertus de son épouse ne purent gagner son cœur. Jeanne qui n'aimait pas la cour et qui n'aspirait qu'à la retraite pour servir Dieu avec plus de perfection, ne mit aucun obstacle à la séparation, mais elle soutint avec une admirable noblesse sa dignité de reine de France et d'épouse. Lorsque le Pape eut prononcé, elle se soumit avec joie, heureuse de supporter cette humiliation pour plaire à Dieu. Elle se retira dans la ville de Bourges, que le roi lui avait assignée, pour sa résidence et y passa le reste de sa vie dans la pratique de toutes les vertus. Elle institua l'ordre de 'Annonciation ou de l'Annonciade, dont la règle est fondée sur les dix principales vertus de la sainte Vierge : chasteté, prudence, humilité, vérité, dévotion, obéissance, pauvreté, patience, charité et compassion. Le pape Alexandre VI confirma cet institut par un bref en date de 1501. Jeanne de France mourut saintement le 4 février 1505. Elle fut aussitôt l'objet d'un culte populaire, ratifié en 1732 par le pape Benoît XIV, qui la déclara Bienheureuse; en 1773, Pie VI, par un bref, étendit à toute la France le culte de la sainte reine.



À suivre...


1 Favé, Études critiques, § xv.

2 Guichardin, Histoire d'Italie, liv. IV, chap. v.

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Message  Diane Jeu 30 Déc 2010 - 18:06

César Borgia était doué de grands talents militaires, d'une habileté politique encore plus grande, et d'une ambition qui éclate dans la devise qu'il avait adoptée: Aut Cœsar aut nihil, ou César ou rien. Il conduisit la réduction de la Romagne avec une grande énergie. Il avait en face de lui des ennemis acharnés; il était entouré de traîtres; il lui arriva, une fois entre autres, de répondre aux attentats dirigés contre lui par un crime qui souillera à jamais sa mémoire; mais ne l'oublions pas, les peuples lui surent gré de ce qu'il avait fait contre les tyrans qui les opprimaient, et, même après la mort d'Alexandre VI, ils continuèrent d'être fidèles au duc qui leur avait fait connaître enfin l'ordre et la tranquillité.

César Borgia fut le type du prince peint à cette époque par Machiavel, peu scrupuleux sur les moyens pourvu qu'il arrivât au but, et jugeant que la politique n'a pas à s'inquiéter de la morale ; il appartient à un historien chrétien de flétrir une pareille politique ; les ennemis de l'Église, qui la louent dans les autres princes, n'ont pas le droit de la reprocher à César Borgia, moins coupable que beaucoup de princes de son temps et des siècles suivants; il serait injuste d'en attribuer les inspirations à Alexandre VI, répréhensible peut-être d'avoir accordé trop de confiance à César s'il pouvait, ce qui est malheureusement bien douteux, trouver un plus fidèle et un plus sûr instrument de ses desseins.

Il serait fastidieux pour le lecteur de suivre dans tous ses détails la lutte de César contre les vassaux du Saint-Siège. En 1499, Imola et Forli furent forcées de capituler; Catherine Sforza, qui avait défendu héroïquement cette dernière place, fut envoyée prisonnière à Rome, traitée respectueusement et bientôt rendue à la liberté. L'année suivante, César réduisit successivement Pesaro, qui retenait Jean Sforza, ancien mari ou fiancé de Lucrèce; Rimini, possédée par un Malatesta; Faenza, qui résista près de deux ans, et dont le seigneur, le jeune Astorre Manfredi, emmené prisonnier à Rome, mourut au bout d'un an par suite d'un crime, selon les uns, d'autres disent qu'il fut mis à mort conformément aux lois de la guerre.

Les Colonna, effrayés du succès de César, vinrent alors d'eux-mêmes déposer les clefs de leurs forteresses dans le bassin de saint Pierre, tandis que le cardinal de ce nom résignait sa riche abbaye de Subiaco. Restait Bologne, où commandait un Bentivoglio. Celui-ci avait appris que plusieurs citoyens fidèles au Pape entretenaient une correspondance avec le duc de Valentinois; il les fit arrêter, et le peuple les massacra sur-le-champ. Puis il pourvut à la défense de la place avec tant d'énergie, que César fut obligé de renoncer à la prendre.

Cependant les rois de France et d'Espagne avaient résolu de se partager les États du roi de Naples Frédéric II, qui se montrait digne du trône. Louis XII devait attaquer le premier, en faisant valoir les droits qu'il tenait de la maison d'Anjou; Ferdinand le Catholique ne doutait pas que Frédéric ne l'appelât à son secours, et il se proposait d'envoyer une armée considérable qui dépouillerait le malheureux roi, sous prétexte de le défendre. Une convention fut signée le 11 novembre 1500. Les deux rois voulurent obtenir l'approbation du Pape, qui la refusa d'abord énergiquement, mais qui fut ensuite forcé d'accorder une investiture qu'il ne pouvait plus refuser sans de plus grands inconvénients. Le complot réussit. César Borgia, dont les troupes avaient concouru au succès, reprit aussitôt après ses opérations dans la Romagne. La ville de Piombino fut prise après quelques jours de siège; César s'empara d'Urbin par ruse, de Camerino par la force. Par une justice sommaire, mais usitée dans les guerres civiles, César fit étrangler le tyran de Camerino avec ses deux fils.

Le duc de Valentinois se voyait de nouveau en état de diriger ses forces contre Bologne, lorsqu'il découvrit un complot tramé contre lui par plusieurs barons de la Romagne, dont quelques-uns, comme Baglione, Vitellozo, Olivéretto, etc., étaient à sa solde et combattaient dans son armée. Une ligue générale se formait contre lui et l'autorité pontificale. César, informé de tout, sentit pour la première fois un frisson de frayeur. Il fut rassuré par un ambassadeur qui lui arriva de la part des Florentins. Cet ambassadeur était Machiavel. Nul ne sait exactement ce qui se passa entre ces deux hommes dans leur entrevue à Fano; ce qui est certain, c'est que César feignit de vouloir se réconcilier avec ceux qui avaient comploté contre lui, et il fixa un rendez-vous à Sinigaglia, où vinrent Vitellozo, Oliveretto, Paul des Ursins, et le duc de Gravina.



À suivre...


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Message  Diane Ven 31 Déc 2010 - 17:42

On était convenu que ces quatre personnages iraient au-devant de César Borgia, quand celui-ci s'approcherait de la ville. Vitellozo, Paul des Ursins et le duc de Gravina, montés sur des mules, et accompagnés seulement de quelques hommes à cheval, vinrenten effet à sa rencontre. Arrivés en sa présence, ils le saluèrent respectueusement; il les accueillit avec une certaine froideur qui frappa Vitellozo, l'un des plus criminels. Jamais on n'avait vu cet homme dans un tel abattement, et l'on rapporte qu'en se séparant des siens il leur fit ses adieux comme s'il eût été persuadé qu'il ne les reverrait plus. Il recommanda sa famille à ses principaux officiers, et pria ses neveux de se souvenir du courage de leurs ancêtres et d'oublier les malheurs de leur maison.

Oliveretto n'était pas présent. Le duc fit un signe, et un de ses compagnons se hâta de l'aller chercher. Quand tous les ennemis de Borgia furent réunis, ils entrèrent avec lui dans la ville, descendirent de leurs mules à la porte de la maison où ils devaient loger et furent conduits dans un appartement éloigné. Ils ne reparurent plus.

César étant monté à cheval aussitôt, fit désarmer les troupes d'Oliveretto et des Ursins. Les premières furent complètement dépouillées ; mais celles des Ursins et de Vitellozo parvinrent à s'échapper. Celui-ci et Oliveretto, exécutés le même jour, s'accusaient réciproquement de leur malheur. Paul des Ursins et le duc de Gravina vécurent encore jusqu'au 18 janvier de l'année suivante, époque où ils subirent la même peine que les deux autres 1.

Tel est le récit de cet acte violent, de ce crime que l'histoire doit flétrir sans réserve. Mais, si l'on doit accuser l'auteur, il est difficile d'avoir une grande pitié pour les victimes. Un an auparavant, jour pour jour, Oliveretto avait invité son oncle Jean Fogliani à un souper, et, le repas fini, l'avait conduit dans une chambre voisine, où des soldats armés le poignardèrent. Le crime commis, Oliveretto monte a cheval, parcourt Fermo, force le palais du gouverneur, tue les partisans de son oncle, et arbore son étendard sur les murailles de la ville. Machiavel dit que Vitellozo était le maître d'Oliveretto dans l'art de la guerre et de l'homicide.

Quant aux deux Orsini, Paul et le duc de Gravina, ils étaient de ces hommes dont César avait journellement à réprimer les brigandages. Singulière destinée des Borgia ! s'écrie un écrivain 1, ils sont la terreur des grands et ils sont aimés des peuples. Pas une émeute populaire n'a troublé le cours du Pontificat d'Alexandre VI; et, après sa mort, les villes de la Romagne ne veulent obéir qu'à César, son fils. « Plusieurs villes de la Romagne, dit Guichardin, qui avaient éprouvé que les anciens princes n'avaient de force que pour les opprimer, demeurèrent fidèles à leur nouveau souverain. Il dut cet avantage au soin qu'il avait eu de leur faire administrer exactement la justice, de les délivrer des bandits qui les pillaient sans cesse, et d'étouffer ces querelles qui produisent tant d'animosités 2. — Ni la défection d'autres places, ajoute Roscoé, ni les préparatifs que les Vénitiens avaient faits pour surprendre ces villes ne purent ébranler leur fidélité. »



À suivre...


1 L'abbé Jorry, Histoire du pape Alexandre VI, chap. VIII.
1L'abbé Constant, l' Histoire et l'Infaillibilité des papes.
2 Histoire d'Italie, livre V.

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Message  Diane Dim 2 Jan 2011 - 18:00

César Borgia fut coupable ; la fidélité des peuples prouve qu'il était moins coupable que ses victimes, et qu'il rachetait ses fautes par des qualités vraiment royales.

Après la sinistre exécution de Sinigaglia, César ne rencontra presque plus d'obstacles devant lui. La Romagne fut pacifiée et Alexandre VI vit son autorité reconnue dans tous ses États. Roi des Romains, il avait rétabli l'ordre dans sa capitale, ramené l'abondance et la tranquillité dans les provinces ; prince italien, il avait fait tous ses efforts pour éloigner l'étranger, mais la gloire de réussir était réservée à Jules II ; prince chrétien, il ne cessa un seul instant de songer à la croisade contre les Turcs.

Le 3 décembre 1493, il adressait à Ludovic le More un bref trop glorieux pour lui pour que nous ne le fassions pas connaître. Dans ce bref, il déclare avoir prévu et annoncé d'avance tous les maux qu'allait attirer sur l'Italie entière l'invasion du roi de France. Il se préoccupe des dangers que cette entreprise fait courir à la péninsule, alors que les Turcs, ces ennemis communs de la république chrétienne, ne cessent de la menacer. Il adjure donc Ludovic de prendre pitié de l'Italie, sa mère et sa nourrice ; de l'Italie, à laquelle lui-même, Alexandre, ne doit pas la naissance, mais qui l'a nourri depuis plus de quarante-quatre ans, qui a fait sa grandeur, qu'il déclare aimer plus que son pays natal et qu'il voudrait, s'il était possible, préserver de tout mal et de tout péril, au prix même de son sang. Après lui avoir dit que ce n'est pas sans un profond dessein que le suprême Dispensateur de toutes choses lui a départi le gouvernement qu'il exerce, Alexandre poursuit ainsi :

« Il dépend de vous, il est entre vos mains, il repose maintenant sur vous, le salut de l'Italie. Ne souffrez pas qu'on puisse dire plus tard ce que dit Jérémie dans ses Lamentations sur Jérusalem : « Comment l'Italie, pleine de peuple, est-elle assise solitaire? La maîtresse des nations est devenue comme veuve; la reine des provinces en est maintenant la servante. Elle est assujettie au tribut. » L'heure est donc enfin venue, mon très-cher fils, de vous réveiller, de vous lever et de faire face à tant de périls qui se préparent. Cet éternel bienfait de la paix, le remède à une perte imminente, le salut, c'est de vos mains que nous l'attendons, et nous, et l'Italie entière, et toute la république chrétienne ; aussi, nous n'en doutons pas, vous pourrez, vous voudrez, vous saurez y pourvoir. »

Alexandre termine ce bref en pressant Ludovic, avec les plus grandes instances et par toutes les considérations de l'intérêt et de l'honneur, de se dévouer à cette œuvre. Il l'assure de son concours le plus entier et le plus résolu, et lui promet, outre sa reconnaissance perpétuelle, une gloire immortelle parmi les hommes, une vie éternelle auprès de Dieu 1.

Quant à la croisade, Alexandre VI la prit au sérieux. Il nomma généralissime des croisés le cardinal Pierre d'Aubusson, le vaillant grand maître des chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, et ce choix lui valut les applaudissements unanimes de la chrétienté. Ce ne fut pas la faute du pape, si ces préparatifs n'eurent pas le résultat qu'on en pouvait attendre.

En 1499, à l'occasion du grand jubilé séculaire, Alexandre VI renouvela ses efforts pour promouvoir une croisade. Déjà il avait quelques belles promesses : les Hongrois, les Polonais et les Bohémiens devaient attaquer les Turcs du côté de la Thrace ; les Français et les Espagnols les attaqueraient par mer, et se rendraient en Grèce; le roi d'Angleterre, les Vénitiens, les princes d'Italie et les troupes des Papes essaieraient de pénétrer jusqu'à Constantinople. Tel était le plan que les ambassadeurs des diverses puissances avaient accepté, et qu'ils espéraient faire adopter.

Mais, lorsqu'il s'agit d'en venir à l'effet, tout le monde se récusa. Dans un consistoire tenu le 11 mars 1500, le Pape, ayant appelé tous les ambassadeurs, leur exposa les dangers de la religion, de l'Italie et de l'Europe. Alors, un des ambassadeurs répondit qu'il fallait auparavant songer à établir une paix solide entre les princes chrétiens, et qu'ensuite on travaillerait à arrêter les progrès des Turcs. Un autre ajouta que les Vénitiens étaient seuls intéressés à la guerre, et que c'était à eux de la soutenir.

Toutes ces réponses étaient autant de refus. Au lieu de se réunir contre l'ennemi commun, les princes chrétiens préféraient se déchirer entre eux : ils laissaient ainsi la barbarie musulmane continuer ses conquêtes ; ils affaiblissaient l'Europe chrétienne, qui se consumait dans de vaines querelles, et, faute de donner aux esprits un aliment salutaire en les occupant d'une grande et glorieuse entreprise qui eût refoulé les Turcs en Asie et rendu à l'Europe tout son ascendant, ils ouvraient la carrière aux vaines disputes, ils continuaient de donner l'exemple du vice et de la corruption, ils préparaient la voie à l'hérésie, qui allait pendant un siècle couvrir l'Europe de sang et de ruines, ébranler tous les trônes et saper les fondements mêmes de la société.

Voilà les malheurs que les Papes auraient voulu prévenir ; sur ce point, la vigilance d'Alexandre VI égala celle de ses prédécesseurs; il ne fut pas mieux écouté qu'eux ; on sait ce qui est arrivé.



Dernière partie à suivre:

Le pontificat d'Alexandre VI




1 E. La Rochelle, les Droits du Saint-Siège.

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Message  Diane Mar 4 Jan 2011 - 16:51

PONTIFICAT D'ALEXANDRE VI.

On vient de voir qu'un des premiers actes d'Alexandre VI, après qu'il se fut assis sur la chaire de saint Pierre, fut d'essayer de détourner de l'Italie l'invasion française, et d'appeler les princes à la croisade. Il eut aussi, dès le 4 mai 1493, à concilier les prétentions contraires de l'Espagne et du Portugal touchant leurs découvertes. On croyait encore, à l'époque d'Alexandre VI, que la terre est à Dieu et à son Christ, et l'on s'en rapportait au Pape pour faire le partage des nouvelles terres, afin de prévenir les guerres et les discussions ; il n'y a certes rien là de contraire à la vraie civilisation. Alexandre VI, après avoir fait attentivement étudier la question et avoir mûrement pesé les avis, établit la fameuse ligne de démarcation par la bulle Inter cœtera, dont voici la substance :

« Nous, par la plénitude de la puissance apostolique, l'autorité que Dieu nous a donnée dans la personne de saint Pierre, et notre qualité de Vicaire de Jésus-Christ, dont nous faisons les fonctions sur la terre, donnons et assignons par les présentes, pour toujours, à vous et à vos héritiers et successeurs, rois de Castille et de Léon, toutes les îles et terres fermes découvertes et à découvrir vers le couchant et le midi, et tirant une ligne d'un pôle à l'autre, à cent lieues des îles Açores, dans la direction que nous avons dite. Entendons néanmoins ne préjudicier en rien à la possession des rois et des princes chrétiens dans ce qu'ils auraient découvert avant Noël dernier. A condition aussi qu'en vertu de la sainte obéissance à nos ordres et suivant les promesses que vous nous en faites et de l'exécution desquelles nous ne doutons aucunement, vous ayez grand soin d'envoyer dans ces terres fermes et ces îles des hommes savants, expérimentés, vertueux, pour en instruire les habitants dans la foi catholique et les bonnes mœurs. »

L'année suivante, Alexandre VI autorisa encore par brefs et par bulles les conquêtes que les rois d'Espagne feraient sur les infidèles dans les royaumes d'Alger et de Tunis, en Afrique, sans préjudicier pourtant à celles que les rois de Portugal avaient faites ou feraient dans les royaumes de Fez, de Méquinez et de Maroc, en vertu de la concession du pape Pie II. A la prière des deux monarques, il accorda plusieurs indulgences à ceux qui les seconderaient dans ces entreprises.

On a attaqué ces actes d'Alexandre VI comme des attentats horribles. « De tous les crimes des Borgia, dit Marmontel, cette bulle (Inter cœtera) fut le plus grand. » Et l'auteur des Lettres sur l'histoire dit à son tour : « Rome qui, depuis plusieurs siècles, avait prétendu donner des sceptres et des royaumes sur l'ancien continent, ne voulut plus donner à son pouvoir d'autres limites que celles du monde. L'équateur même fut soumis à la chimérique puissance de ses concessions »

Sur quoi le comte Joseph de Maistre fait ces spirituelles remarques 1 :

« La ligne pacifique tracée sur le globe par le Pontife romain, étant un méridien, et ces sortes de cercles ayant, comme tout le monde sait, la prétention invariable de courir d'un pôle à l'autre sans s'arrêter nulle part, s'ils viennent à rencontrer l'équateur sur leur route, ce qui peut arriver aisément, ils le coupent certainement à angles droits, mais sans le moindre inconvénient ni pour l'Église, ni pour l'État. Il ne faut pas croire, au reste, qu'Alexandre VI se soit arrêté à l'équateur, ou qu'il l'ait pris pour la limite du monde. Ce Pape n'était pas homme à s'y tromper. J'avoue encore ne pas comprendre pourquoi on l'accusait justement d'avoir attenté sur l'équateur même, pour s'être jeté comme arbitre entre deux princes dont les possessions étaient ou devaient être coupées par ce grand cercle même. » Quant au grand crime des Borgia, il faut avoir bien envie de le découvrir pour le voir dans la bulle Inter cœtera. N'est-ce pas, au contraire, un spectacle magnifique que celui de deux nations consentant à soumettre leurs discussions actuelles, et même leurs dissensions possibles au jugement désintéressé du Père commun des fidèles, à mettre pour toujours l'arbitrage le plus imposant à la place de guerres interminables ?

« C'était, ajoute de Maistre, un grand bonheur pour l'humanité que la puissance pontificale eût encore assez de force pour obtenir ce grand consentement. » Il dit encore : « J'oserai croire que le titre de Médiateur-né entre les princes chrétiens, accordé au Souverain-Pontife, serait de tous les titres le plus nature], le plus magnifique et le plus sacré. Je n'imagine rien de plus beau que ses envoyés, au milieu de tous ces grands congrès, demandant la paix sans avoir fait la guerre, n'ayant à prononcer ni le mot d'acquisition, ni celui de restitution, par rapport au Père commun, et ne parlant que pour la justice, l'humanité et la religion. Fiat! Fiat! »

Ne croirait-on pas que le comte de Maistre a écrit ces lignes depuis 1859? Hélas! si le grand philosophe catholique écrivait aujourd'hui, il aurait un mot à changer dans ce passage ; dans le Congrès futur, le Père commun des fidèles serait obligé de parler de restitution, car on lui a enlevé les trois quarts de ses États.



À suivre...



1 De pape, livre II, chap XIV.-

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Message  Diane Jeu 6 Jan 2011 - 18:40

Innocent VIII avait donné le titre de roi catholique au roi d'Espagne et à ses successeurs, après qu'il eut entièrement délivré ses provinces de la domination des Maures. Alexandre VI le confirma. Il concéda au même Ferdinand, à Isabelle son épouse, et à leurs héritiers futurs aux royaumes de Castille et d'Aragon, la dignité et les revenus des grands maîtres des ordres militaires de Calatrava, de Saint-Jacques et d'Alcantara. A la prière de Charles VIII, roi de France, il confirma l'ordre de Saint-Michel, institué l'an 1469 par Louis XI, celui des Filles Pénitentes, établi à Paris par Jean Tisserand, franciscain, en l'honneur de sainte Madeleine; et celui des Annonciades, fondé par sainte Jeanne de France ou de Valois, comme on l'a vu plus haut.

Un autre ordre religieux, dont le pape Alexandre VI approuva les statuts et règlements, fut celui des Frères Minimes, fondé par saint François de Paule. Le pape Sixte IV avait déjà approuvé l'institut en 1474, par une bulle datée du 23 mai, et il en nomma François supérieur général. Mais les règlements du nouvel ordre n'avaient pas encore reçu toute leur perfection. Diverses circonstances avaient obligé d'y faire quelques changements indispensables. Lorsque le pieux fondateur, aidé des conseils de ses frères, et surtout des lumières d'en haut, y eut mis la dernière main (c'était en l'année 1494), il les présenta au pape Alexandre VI. Le Souverain-Pontife approuva la règle des religieux Minimes, et cette approbation fut depuis confirmée par Jules II. Enfin, en 1496, Alexandre VI reçut d'Orient un moine de Saint-Basile, ambassadeur de Constantin, roi de Géorgie. Il venait pour déclarer au Pontife, de la part de son maître, que le prince et ses sujets reconnaissaient le Pape comme Vicaire de Jésus-Christ et se soumettaient sans réserve au décret du concile de Florence touchant l'union de l'Église grecque avec l'Église latine.

La sollicitude d'Alexandre VI était universelle.

Dès la première année de son pontificat, on le voit travailler activement par son légat, à ramener dans le sein de l'Église les Hussites de la Bohême; — le 1er juin 1501, ayant été informé que beaucoup de livres hérétiques avaient été imprimés dans les diocèses de Cologne, de Trêves, de Mayence et de Magdebourg, il publia une bulle par laquelle il interdisait d'imprimer à l'avenir aucun livre sans la licence de l'évoque du diocèse, et ordonnait aux mêmes évêques de brûler tous les livres imprimés précédemment, qui contiendraient quelque chose de contraire à la foi catholique, d'impie ou de malsonnant ; — les rois d'Espagne et de Portugal lui ayant représenté les désordres du clergé de leurs États, il en fut fort surpris, dit l'historien Ferreras, et travailla activement à la réforme des abus et à la cessation des scandales, puissamment aidé dans cette œuvre par le commissaire qu'il en avait chargé, et qui s'appelait François Ximénès. Ce Ximénès est l'illustre cardinal à qui Ferdinand le Catholique et Charles-Quint durent une partie de la gloire de leurs règnes ; le choix d'un tel homme, fait par Alexandre VI, est encore une justification de ce Pape, pour lequel Ximénès se montra toujours plein de respect et de dévouement. Ce fut Alexandre VI qui força Ximénès à accepter l'archevêché de Tolède, le premier siège épiscopal d'Espagne. Ce fut encore Alexandre VI qui nomma le cardinal d'Amboise légat apostolique en France. Tous ses actes pontificaux sont aussi dignes d'un grand et zélé Pape.

Ajouterons-nous qu'il garda jusqu'au dernier moment le plein exercice de ses facultés intellectuelles, signe d'une vie sobre et réglée; qu'il encouragea les lettres et les arts, et que son règne fut le digne prélude de celui de Léon X ?



À suivre...


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Message  Diane Ven 7 Jan 2011 - 18:18

Alexandre VI était parvenu à l'âge de soixante-douze ans. Trois ans auparavant, le 29 juin, fête de saint Pierre et de saint Paul, il avait été miraculeusement sauvé d'un terrible danger. Vers quatre heures, il s'entretenait dans sa chambre avec un cardinal et un camérier. Tout à coup un furieux ouragan, accompagné d'une grêle prodigieuse, éclate sur la ville de Rome. Le cardinal et le camérier, sur l'ordre du Pape, vont fermer les fenêtres et échappent ainsi à la mort, car une énorme cheminée, renversée par les vents et l'orage, s'étant affaissée sur les toits, enfonce les étages supérieurs, brise en deux une forte poutre au-dessus du Pontife, et fait tomber à ses pieds trois personnes mortes ou mourantes. Lui-même disparaît enseveli sous les décombres. On l'appelle ; il ne répond pas. On s'empresse, on accourt de tout le palais, on le croit mort. Cependant il avait été épargné.

La poutre rompue en deux restait fixée par un bout dans la muraille au-dessus de la tête du Pape, et par l'autre s'abaissait devant lui jusque sur le parquet, formant une voûte qui le sauva. On trouva le Pontife assis sur son trône, non pas mort, mais seulement étourdi par l'accident ; il était néanmoins légèrement blessé à la tête et à la main droite. Dès le 25 juillet, étant parfaitement guéri, il alla lui-même à Sainte-Marie-du-Peuple rendre à Dieu des actions de grâces pour sa conservation 1.


« Le samedi, 12 août 1503, au matin, le pape Alexandre VI se sentit indisposé. Après vêpres, vers trois ou quatre heures du soir, se déclara une fièvre qui ne le quitta pas. Le 16 août, on lui tira environ treize onces de sang, et alors survint une fièvre tierce. Le jeudi, 17, à six heures du matin, il prit médecine; le vendredi, 18 août, vers six ou sept heures du matin, il se confessa à Mgr Pierre, évêque de Culm, qui dit ensuite la messe devant lui, et, après avoir communié lui-même, administra le sacrement de l'eucharistie au Pape, assis sur son lit. Ensuite il acheva la messe. Cinq cardinaux, ceux d'Oristagni, de Cosenza, de Montréal, de Casanova et de Constantinople étaient présents. Le Pape leur dit après qu'il se trouvait mal. A l'heure de vêpres, l'extrême-onction lui fut donnée par l'évêque de Culm, et il expira en présence du dataire et de l'évêque. »

C'est Burchard qui raconte ainsi les derniers moments d'Alexandre VI. Mais cette mort était trop simple et trop naturelle pour ses ennemis; il importait de faire mourir Alexandre VI comme on l'accusait d'avoir vécu. Voici donc comment les ennemis du Pape racontèrent sa mort; nous reproduisons le texte d'un historien qui a ramassé dans son récit tout ce qu'il pouvait y avoir de plus dramatique dans les détails fournis par Guichardin, Tomasi et les autres.


À suivre...

1 Mary Lafon, Rome moderne chap. XII.

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Message  Diane Sam 8 Jan 2011 - 18:58

« Alexandre et César trouvant bientôt la main de leurs bourreaux trop lente, et voyant que la solde de leur armée épuisait le trésor papal, résolurent de frapper à la fois, dans le Sacré-Collège, et les vieillards qui ne mouraient pas, et les jeunes qui semblaient avoir longtemps à vivre. Le 2 août 1503, le Pape invita tous ceux dont il voulait être héritier à une fête qu'il donnait, disait-il, pour célébrer les victoires de César Borgia, dans sou délicieux jardin du Belvédère. Cette fête devant commencer, par un banquet, César empoisonna quelques flacons et les remit, avec les instructions accoutumées, au boutillier (bottigliere) ; mais, par un effet du hasard, où l'on a vu le doigt de Dieu, Alexandre, comme tous ceux que tourmente un mauvais dessein, descendit avant l'heure au Belvédère. La chaleur étant accablante, il voulut se rafraîchir. Alors le sous-boutillier, à qui on vint demander du vin pour le Pape, croit faire merveille en prenant celui, qu'on a mis à part comme le plus rare, et, sans le savoir, donne un flacon empoisonné. Alexandre but avec avidité et sentit sur le champ l'effet du poison. Bien qu'il y eût mis beaucoup d'eau, César Borgia éprouva les mêmes symptômes, quoique moins violents. On les porta tous deux au Vatican, et ils ne se revirent plus dans ce monde. Alexandre, que les Romains avaient surnommé le Bœuf, et qui était bien nommé, car il avait une véritable constitution de taureau, lutta huit jours contre la mort, mais sans reprendre connaissance, et sans que le souvenir de César ou de sa fille lui revînt une seule fois. De temps en temps, par un mouvement convulsif, il cherchait une boule d'or dans laquelle était renfermée une hostie, et qui pendait constamment sur sa poitrine. Dans sa superstition impie, il se croyait invulnérable avec ce talisman, et ne l'avait par mégarde quitté que ce jour-là. On se hâta de cacher son corps dans une chapelle souterraine de Saint-Pierre. Mais la terreur qu'il inspira de son vivant était si grande, que ce cadavre épouvantait encore Rome 1. »

Voilà comment on écrit encore l'histoire en plein dix-neuvième siècle, même lorsqu'on a le récit de Burchard, dont on se sert si volontiers lorsque cet Allemand raconte quelque aventure scandaleuse, même lorsqu'on se trouve en face de ridicules contradictions, même lorsqu'on a le témoignage de Voltaire, dont le bon sens s'est révolté de ces fables stupides. Voici en effet ce que dit Voltaire à propos du récit qui précède :

« Le cardinal Bembo, Paul Jove, Tomasi et enfin Guichardin semblent croire que le pape Alexandre VI mourut du poison,... mais ces historiens ne l'assurent pas positivement. Tous les ennemis du Saint-Siège ont accueilli cette horrible anecdote; pour moi, je n'en crois rien, et ma grande raison, c'est qu'elle n'est pas du tout vraisemblable. Il est évident que l'empoisonnement d'une douzaine de cardinaux à souper eût rendu le père et le fils si exécrables, que rien n'aurait pu les sauver de la fureur du peuple romain et de l'Italie entière. Un tel crime n'aurait jamais pu être caché. Quand il n'aurait pas été puni par l'Italie conjurée, il était directement contraire aux intérêts de César Borgia. Le Pape était sur le bord du tombeau, Borgia, avec sa brigue, pouvait faire élire une de ses créatures; était-ce un moyen de gagner les cardinaux, que d'en faire empoisonner douze 2 ? »

Voltaire dit encore :

« J'ose dire à Guichardin : L'Europe est trompée par vous, et vous l'avez été par votre passion. Vous étiez l'ennemi du Pape, vous avez cru votre haine. Il avait à la vérité exercé des vengeances cruelles et perfides contre des ennemis aussi perfides et aussi cruels que lui. De là vous concluez qu'un Pape de soixante- quatorze ans n'est pas mort de façon naturelle ; vous prétendez, sur des rapports vagues, qu'un vieux souverain, dont les coffres étaient alors remplis de plus d'un million de ducats d'or voulut empoisonner quelques cardinaux pour s'emparer de leur mobilier. Mais ce mobilier était-il si important? Ces effets étaient presque toujours enlevés par les valets de chambre, avant que les Papes pussent en saisir quelques dépouilles. Comment pouvez-vous croire qu'un Pape prudent ait voulu hasarder pour un si petit gain une action aussi infâme, une action qui demandait des complices et qui tôt ou tard eût été découverte? Ne dois-je pas croire le journal de la maladie du Pape plutôt qu'un bruit populaire? Ce journal le fait mourir d'une fièvre double-tierce; il n'y a pas le moindre vestige de preuve en faveur de cette accusation intentée contre sa mémoire. Son fils Borgia tomba malade dans le temps de la mort de son père : voilà le seul fondement de l'histoire du poison 1. »



À suivre...


1 Mary Lafon, Rome moderne.
2 Œuvres complètes, t. XXIV.. pag.91 et sui, édition 1801, Tomine.
1 Dissertation sur la mort d'Henri IV.

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Message  Diane Lun 10 Jan 2011 - 18:11

Un dernier mot sur le poison des Borgia, que nul chimiste ne connaît, qu'on n'a pu retrouver jusqu'ici. Voici ce que Paul Jove en dit, à propos de la mort de Djem: « C'était une poudre de sucre qui, pour plus d'illusion, était d'une merveilleuse blancheur et d'une saveur peu désagréable. Ce n'était pas, comme les poisons actifs, par un effet énergique et soudain qu'elle accablait les esprits vitaux ; c'était en pénétrant insensiblement les veines qu'elle faisait ses progrès mortels.» Paul Jove ajoute : « C'est par ce poison qu'ensuite Alexandre, dit-on, fit périr quelques cardinaux opulents, et finit par se tuer lui-même, une bouteille ayant été changée par inadvertance. » Le cardinal Orsini avait traîné peut-être un mois, comme Djem ; Alexandre mourut du jour au lendemain, selon les uns, en huit jours selon d'autres. Le cadavre du cardinal ne témoignait pas, dit Nardi, d'une mort violente; Guichardin assure que le corps d'Alexandre, exposé selon l'usage dans l'Église de Saint-Pierre, était noir, enflé, difforme, et portait les signes manifestes du poison. Le poison des Borgia, qu'on appelait cantarelle, aurait donc agi bien diversement sur le cardinal Orsini et sur Alexandre 1 ».

La cause est jugée; on peut s'en tenir au jugement de Voltaire et au journal de Burchard.

Nous avons parcouru rapidement l'histoire du pape Alexandre VI. Obligé de nous arrêter à chaque pas pour repousser des accusations et réfuter des calomnies, nous n'avons pu, comme pour d'autres Papes, nous contenter du simple récit des faits. On conçoit aussi qu'il nous était impossible d'entrer dans tous les détails; il n'y a pas un acte de la vie d'Alexandre VI et de César Borgia qui n'ait prêté à la malignité des historiens ennemis de ce Pontife. Nous en avons dit assez, croyons-nous, pour éclairer les esprits de bonne foi ; si nous n'avons pas complètement traité la question, nous en avons examiné les principales phases. Par les accusations que nous avons fait connaître, on peut juger des autres; par la facilité avec laquelle nous avons pu repousser les plus graves, on peut juger que les moindres ne reposent pas sur de plus sérieuses autorités.

Au point donc où nous sommes parvenu, nous pouvons dire : le pape Alexandre VI a été calomnié ; sa vie privée ne fut pas scandaleuse, même avant son élévation au Pontificat; depuis qu'il fut assis dans la chaire de saint Pierre, elle fut toujours édifiante : — Alexandre VI fut un grand roi et un grand Pape.



FIN



1 M. La Rochelle, les Droits du Saint-Siège, dans une note.

1 Dissertation sur la mort d'Henri IV.
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